La proposition de rendre le droit au logement opposable est venue de Paul Bouchet, qui était alors président d’ATD Quart monde et membre du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées.
Inscrite pour la première fois dans un rapport remis au président Jacques Chirac en décembre 2002, reprise et portée par le mouvement associatif, l’idée de l’opposabilité bénéficiera d’un consensus politique qui conduira à l’adoption de la loi le 5 mars 2007.
« Je ne suis pas un ancien combattant, je suis un vieux lutteur ». C’est ainsi que Paul Bouchet aimait à se définir. Peu connu du grand public, Paul Bouchet était une personnalité reconnue et écoutée dans les milieux juridiques et associatifs. Ses combats avaient été multiples, mais toujours inspirés par la dignité humaine et les droits fondamentaux : la résistance à 17 ans, la création de l’UNEF, les plaidoiries d’avocat défenseur des droits des syndicalistes et des militants indépendantistes au moment de la guerre d’Algérie, la restauration du Chateau de Goutelas pour en faire un lieu de culture et d’échange. Devenu conseiller d’État il présida la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Avec son épouse, Mirelle Delmas-Marty, il s’était engagé dans le combat contre la misère avec ATD Quart Monde.
L’Association DALO est membre de l’Institut Paul Bouchet, qui s’efforce de préserver son inspiration humaniste.
Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, créé en 1992 est chargé de faire des propositions au président de la République et au gouvernement. Dans les années qui ont précédé et suivi la loi DALO, Xavier Emmanuelli en était le président et Bernard Lacharme le secrétaire général.
Tous les rapports du Haut comité contiennent des propositions visant, en particulier, à assurer la bonne application de la loi Besson du 31 mai 1990 pour le droit au logement. Une grande partie de ces propositions ont été reprises dans des dispositions législatives ou réglementaires.
En 2002 cependant, le Haut comité faisait le constat de la persistance d’obstacles structurels à la mise en œuvre effective du droit au logement. Certes, le droit était reconnu et des dispositifs lui étaient consacrés, mais face au développement des processus d’exclusion, les moyens restaient insuffisants et le droit au logement subissait la concurrence d’autres objectifs de l’action publique.
Or un droit n’existe réellement que si le citoyen est garanti de sa mise en œuvre. C’est ce qui a conduit le Haut comité, dans son 8e rapport (décembre 2002), à proposer de rendre le droit au logement opposable. Dans certains pays (Grande Bretagne), les droits reconnus sont systématiquement opposables, ce qui signifie que le citoyen a la possibilité de se tourner vers une autorité chargée de les faire appliquer, et ce y compris en faisant appel à la justice si nécessaire. En France, le droit à l’éducation et le droit aux soins sont opposables, mais le droit au logement ne l’était pas.
Il ne suffisait pas de dire que le droit au logement devait devenir opposable. Encore fallait-il dire comment. La mise en œuvre du droit au logement est complexe : elle touche à différentes politiques : logement, action sociale, santé, et ces politiques sont portées à la fois par l’État et par les différentes collectivités territoriales. Dans son 9e rapport intitulé « Droit au logement : construire la responsabilité », le Haut comité définissait les trois conditions de l’opposabilité du droit au logement :
Parallèlement aux travaux du Haut comité, le mouvement associatif se rassemble dans une « Plateforme pour un droit au logement opposable », sous l’impulsion de Paul Bouchet, alors président d’ATD Quart Monde et membre du Haut comité. En septembre 2003, la Plateforme interpelle le Gouvernement pour demander qu’une concertation s’engage sur le droit au logement opposable.
"(…) Le droit au logement est celui d’accéder à un logement décent, convenablement situé et suffisamment desservi par des équipements publics et privés. Sans lui, l’accès aux autres droits fondamentaux est compromis. Il est primordial pour permettre à chacun de prendre place dans la société. Les signataires de la présente plate-forme estiment qu’il est urgent et essentiel d’engager une politique nationale forte et pérenne concernant le droit au logement. Ils demandent à l’État qu’au même titre que l’école et l’accès aux soins, le droit au logement soit rendu opposable (...)."
La Plateforme DALO réunira une soixantaine de grandes associations et fédérations associatives et elle mènera un travail de lobbying auprès des décideurs politiques pour faire prévaloir l’idée du droit au logement opposable.
Le 12 mai 2006, le Premier ministre Dominique de Villepin réunit le CNLE. Il annonce sa décision d’autoriser les collectivités territoriales volontaires à expérimenter le droit au logement opposable. Dans les jours qui viennent et à la demande de Xavier Emmanuelli, il charge le Haut comité d’une mission visant à définir les conditions de cette expérimentation.
Le Haut comité conduit une concertation avec les principales fédérations d’élus locaux. Dès le mois d’octobre, il tient à la disposition du Premier ministre un rapport qui :
L’année 2006 est une année préélectorale et les candidats à l’élection présidentielle définissent leurs programmes. Le Haut comité est invité à parler du droit au logement dans les conventions tenues par le PS et par l’UMP. Des deux côtés le droit au logement opposable sera retenu comme un objectif, et le candidat UMP, Nicolas Sarkozy, tiendra des propos très volontaires dans son discours programme de Périgueux : « (…) je propose qu’au bout de cinq à dix ans le droit au logement devienne opposable (…) ».
Mais pendant la campagne, le mal-logement continue à faire des ravages. Révoltés par la situation des sans-abris, les Enfants de Don Quichotte, emmenés par Augustin Legrand, vont mener des actions qui attirent l’attention des médias, installant des tentes rouges le long du canal Saint-Martin. La question des sans-abris s’invite dans les journaux télévisés en pleine campagne électorale. Les Enfants de Don Quichotte, avec les autres réseaux associatifs, défendent une plateforme revendicative dans laquelle figure en bonne place le droit au logement opposable.
C’est ce contexte qui va amener le président Chirac, dans ses vœux aux Français du 31 décembre 2006, à annoncer sa décision de rendre le droit au logement opposable : « En donnant toute sa place au dialogue social, des réformes importantes sont devant nous : […] pour mettre en place un véritable droit au logement opposable, c’est-à-dire faire du droit au logement une réalité. Et je demande au Gouvernement d’avancer sur ce point dans les toutes prochaines semaines. »
Le texte initial présenté en Conseil des ministres le 17 janvier 2007 comprend 5 articles. Au cours des débats parlementaires, députés et sénateurs complèteront largement le texte pour adopter le 22 février, sans aucun vote contre, un texte définitif de 50 articles (hors dispositions en faveur de la cohésion sociale rattachées à la loi).
La loi sera promulguée le 5 mars 2007, parmi les toutes dernières lois de la mandature.